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Les privatisations : quelle place au sein des institutions culturelles ?

vendredi 08 avril |
Bourdelle (c) Benoit Fougeirol

Dans le contexte de resserrement des budgets de baisse des dotations de l’État, les institutions culturelles sont soucieuses de diversifier leurs ressources propres. L’activité des privatisations fait partie des recettes propres que les sites culturels et patrimoniaux cherchent à développer. Mais quelle place prennent-ils aujourd’hui au sein des institutions culturelles ?

Patricia Friedrich, manager de Museva, a présenté lors de la dernière édition du salon quelques spécificités de l’activité des privatisations au sein des institutions culturelles pour évoquer des axes de développement possibles.

Juliette Chazelle, manager chez Beaux Arts Consulting, a évoqué les principaux modèles d’organisation de l’activité de privatisation au sein des grandes institutions (direction, interactions avec d’autres services, processus d’arbitrage des réservations, outils de travail…) en donnant un éclairage sur les bonnes pratiques.

 

Musée Rodin © Jaulin SA

 

En effet, les privatisations sont le résultat du développement d’une offre publique d’espaces qui s’inscrit dans un contexte juridique incitatif. Les décrets du 10 février 2009 permettent à toutes les administrations d’État de percevoir une redevance pour services rendus, en contrepartie notamment de la mise à disposition de leur espace public pour des tournages ou des événements. En plus de la dotation budgétaire, ces décrets permettent de bénéficier de la totalité des recettes générées.

Les privatisations étant historiquement liées au mécénat culturel, favorisent l’implication des entreprises et des particuliers dans le financement de la culture entraînant un essor grandissant de la location d’espaces pour les événements d’entreprise et les tournages.Face à la prise de conscience de ces opportunités en matière de financement (2 à 20 % de recettes issues des privatisations  selon les institutions*) , mais aussi en matière d’image, les grandes institutions culturelles professionnalisent de plus en plus ses activités et s’ouvrent à de nouveaux publics. Cette évolution est également accompagnée d’une réflexion sur l’optimisation de l’utilisation des espaces pour les activités muséales afin de pouvoir proposer de nouveaux créneaux à la location.

 

Quelles sont aujourd’hui les différentes activités, les différentes administrations publiques qui encadrent cette activité de privatisation ?

 

L’Agence du patrimoine immatériel de l’État, un organisme public rattaché à la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, est chargée de promouvoir une gestion optimisée des actifs immatériels publics et d’accompagner les stratégies de valorisation de son patrimoine.
Face aux besoins grandissants des professionnels de bénéficier de nouvelles perspectives dans l’organisation d’événement divers, l’Agence du patrimoine immatériel de l’État a donc constitué un catalogue en ligne regroupant plusieurs lieux publics ouverts à la privatisation, très diversifiés, et pouvant répondre aux besoins de différents types d’événements tels que des séminaires, des réunions, des dîners de gala, des tournages.

 

 

 

Plutôt que d’opposer les activités annexes à la mission principale des musées nationaux, pourquoi ne pas réfléchir à une coexistence ?

 

La mission principale des musées nationaux est de préserver, de conserver, d’enrichir leurs collections, d’ouvrir leurs collections au plus grand nombre et d’apporter une pédagogie à un public le plus divers possible.
Ainsi, le développement commercial des musées peut lui aussi contribuer au rayonnement de ces institutions par l’utilisation de son image, de ses espaces, de son architecture, de son histoire, en contribuant au financement des projets culturels et aussi à la diversification des publics. Dans cette optique, une étude nationale qui examinerait l’évolution et les axes de développement de la location d’espace au sein des grands musées nationaux pourrait contribuer à une meilleure compréhension de cette activité à fort potentiel de croissance.

 

 

Comment ces activités de privatisation s’intègrent dans les différentes directions au sein des musées nationaux ?

 

Pour bien comprendre l’intégration des privatisations dans les directions des musées, il faut se pencher sur les organigrammes, laissant apparaître trois modèles principaux.

La privatisation est positionnée au sein d’une direction du développement qui va regrouper l’ensemble des activités qui participent au développement des ressources propres telles que la billetterie, la boutique ou les partenariats. Elle se trouve également au sein d’une direction qui va englober les services des publics, le marketing et la communication qui, généralement, vont se regrouper sous la dénomination de directions des relations extérieures, directions du développement et de la communication ou bien encore direction du développement des publics, de la communication et des partenariats. Elle se rattache ainsi directement à la présidence ou à la direction générale de l’établissement.

 

Centre Historique Minier Lewarde

 

Si on s’intéresse à ses interactions, la communication est plus évidente.

 

En effet, c’est d’abord à l’image de l’institution que l’on s’associe quand on souhaite louer un espace muséal. La communication va également accompagner les services de privatisation soit par la promotion qu’elle peut réaliser par les relations presse, soit les réseaux sociaux, voire la communication au sein de l’institution. La communication pourra même jouer un rôle de conseil en accompagnant l’entreprise sur le message de la manifestation qu’elle organise. Enfin, les partenariats médias qui vont être noués par la communication peuvent appeler des contreparties qui vont être valorisées en location d’espaces.

 

La privatisation est également en interaction constante avec la programmation culturelle et la conservation.

 

La programmation s’avère être un argument crucial pour attirer les prospects à la privatisation. En effet, c’est la notoriété que les expositions vont donner à l’institution qui va générer des demandes de privatisation, et ce, car les entreprises sont de plus en plus demandeuses de contenus culturels.
Les sujets d’expositions représentant les femmes artistes par exemple, ont beaucoup de succès auprès des entreprises qui ont eux-mêmes des engagements. Il y a un véritable enjeu pour les institutions d’articuler le positionnement de l’entreprise à la thématique et la programmation culturelle.
Le contexte sanitaire est la deuxième raison pour laquelle les entreprises vont être demandeuses de contenus plus exclusifs, elles vont privilégier des visites privées en petits groupes de collaborateurs ou de clients. Inversement, ce sont les ressources générées par la privatisation qui vont permettre à la programmation d’être plus ou moins ambitieuse.
Généralement, la programmation des institutions étant décidée en amont, la privatisation va pouvoir anticiper au mieux la commercialisation des espaces vis à vis de certains clients et cibler les prospects en tenant compte justement de ces enjeux et du lien possible avec certaines thématiques.

 

 

Les interactions avec les services de mécénat sont toujours fortes.

 

Aujourd’hui, les équipes de privatisation et de mécénat travaillent en grande proximité, car les contreparties de mécénat sont souvent valorisées par l’événementiel. Le mécénat dans ses démarches de prospection, va pouvoir orienter vers la privatisation et jouer un rôle dans la location d’espaces.
Enfin, la collaboration entre mécénat et privatisation va permettre d’offrir un plus grand éventail de solutions et de services aux prospects, afin de définir au mieux le projet qui leur correspond, en étant à l’écoute de leurs besoins.

 

Enfin, comment bien optimiser la gestion des espaces privatisables ?

 

Avant tout, il est préférable de définir des créneaux réservés à la privatisation pour ne pas perturber la visite du public. Définir un seul point d’entrée pour la réservation des espaces au sein de l’institution et bien sûr, utiliser un calendrier partagé pour que les différents services puissent avoir un aperçu commun.
Pour faciliter la logistique des événements et la conception scénographique des expositions, il est conseillé de mettre à disposition aux collaborateurs un “mode d’emploi” sur l’organisation d’un événement afin qu’aucun aspect ne soit négligé. Il est possible et préférable de mettre en place des réunions avec les prestataires internes et/ou externes qui vont concourir à l’organisation logistique de l’événement pour pouvoir en suivre l’avancée. Finalement, l’importance de réaliser une visite du site en présence du client avant la réservation permet de vérifier que les lieux et leur configuration correspondent bien aux attentes. L’ensemble de ces bonnes pratiques vont dans le sens d’un travail en plus grande transversalité entre les services.

 

 

Retrouvez l’intégralité de la conférence sur vimeo.com

 

*Données recoltées par Museva : recettes issues des privatisations indiqué dans les rapports d’activités publiées d’une vingtaine de musées nationaux entre 2018 et 2019. La variation des données dépend de facteurs tels que le nombre de mètres carrés disponibles, la capacité d’accueil, la nature du lieu, les caractéristiques historiques, des qualités architecturales, la localisation du lieu et évidemment, des facilités logistiques.